Quand on m’a demandé de faire un papier sur Venus, j’étais tout excité mais je ne savais pas par quel bout commencer. Domaine trop vaste en ce qui les concerne, culture trop limitée pour envisager toucher ces musiciens malins à travers des mots en ce qui me concerne. Chaque écoute de leurs trois disques me poussait à jeter l’éponge, à rendre les armes. J’étais trop petit et eux trop grands. Mais l’idée de laisser à d’autres le moindre espace pour parler de ce groupe si sidérant, m’apportant tellement dans ma vie quotidienne, m’était insoutenable. Je ne pouvais décemment pas laisser passer ce challenge et c’est donc fragilement que je vais essayer de parler de ce qui ne se raconte pas. Ne m’en voulez pas je ne suis pas parfait et je sais qu’eux si.
Venus ce sont quatre satellites instables gravitant autour d’une planète qui se fit groupe en 1997 sous l’égide d’une pop débridée et totalement fraîche dans le paysage intergalactique. Découvert en 1997 par un chercheur d’ambiances nouvelles, Venus compose ses mélodies à partir de contrebasse, de violon, de batterie, de guitare et d’une voix. Ce qui pourrait rappeler certains groupes comme « Violent Femme » pour les cordes et « Deus » pour la parenté nationale est tout de suite balayé par cet anglais plaintif (car pour se faire connaître il est nécessaire de pousser les cordes vocales dans une langue universelle) et ce son unique. Voulant amplifier avec de la lumière leur musique plutôt qu’avec des décibels, les membres de Venus passèrent à cinq rapidement en incorporant un cinquième spoutnik scénographique. Dès ce jour on saura qu’en les voyant sur scène, ce dernier venu, prendra autant d’importance que l’un des 4 autres musiciens.
Le groupe a toujours eu ce paradoxe extraordinaire de sortir un single accrocheur lancé sur toutes les ondes « She’s so Disco » pour leur premier opus, « Beautiful Days » sur le second, pour construire des albums à l’opposé de ces titres porteurs. Dans la voix de Marc Huyghens dès « Ball Room », premier titre de « Welcome To The Modern Dance Hall » on ressent la folie des leaders-chanteurs porteurs d’un malaise tels Tom Waits ou encore Nick Cave. C’est le mariage de cet hermaphrodisme vocal avec cette musique déstructurée, possessive qui accroît les sentiments de puissance et d’instabilité chers à tous ces innovateurs.
Lancé à la vitesse d’un cheval au galop, « Welcome… » ne souffle jamais. La rythmique cadencée rapidement s’enchaîne sur toute la surface de l’album. Pas le temps de reprendre son souffle sur les 6 premières compositions que soudain ils utilisent la rupture et la pédale douce. D’une voix devenue légère, diminuant le débit des paroles, laissant la musique couler dessus, l’album prend la stature d’une longue mélopée syncopée, pour finir sur un titre : « Bass Shiving Bass » mélange des deux thèmes de Venus : c’est à dire un orchestre polyphonique rock et classique concentré dans 4 mecs incroyables.
En 2000 le groupe passe son année dans les salles de concerts et affine son art pour que la bulle intimiste du quintet éclate dans un jeu de miroirs ouvert sur l’émotion pure. Avec en point d’orgue ce concert au cirque Royal de Bruxelles accompagné des 20 musiciens de « Musiques Nouvelles » orchestre classique symphonique qui, le temps d’une soirée, et par les soins de Renaud Loehst (membre « d’Abi Gezint » groupe yiddish) retravaille dans une théâtralité encore jamais vue auparavant toutes les orchestrations du groupe pour en faire un spectacle visuellement circulaire et musicalement essentiel. Il sortira de ce conte du Roi Anatole passé de vie à trépas sans en prendre conscience, une odeur de mort qui traîne en fil rouge sur tout l’album enregistré de cette cession : « The Man Who Already Dead ». Je ne peux m’empêcher de vous livrer le texte d’introduction de ce spectacle qui résume à merveille toute l’ambiance qu’est capable d’installer ce groupe avec ses spectateurs.
« Il était une fois, il y a bien longtemps, un roi du nom d’Anatole. Il vivait et régnait sur un empire plus grand qu’on n’ait jamais pu imaginer. Il régnait sur les montagnes et les oiseaux, les forêts et ses animaux, les mers, les poissons et les hommes. Tranquille était la vie au royaume car celui-ci vivait pour le bonheur de son peuple. Un jour le roi se réveilla d’une humeur particulièrement agréable, mais avec au fond de lui-même une sensation étrange. Il fit venir à la cour les plus grands médecins, les plus grands philosophes, chercheurs et scientifiques. Mais rien n’y fit. Personne ne put comprendre le mystère qui plongeait le roi, chaque jour davantage dans une mélancolie de plus en plus profonde. Les jours passèrent. Une nuit Anatole, en plein désespoir, se promena au sommet de la plus haute tour de son château. C’est une nuit très belle, douce, étoilée et sans vent. Le regard vague, il s’aperçut que les drapeaux et les étendards flottaient dans le vent qu’il n’y avait pas. Il regarda longtemps les morceaux de tissu flotter et claquer dans ce vent d’une force terrible. Terrifié, il se rendit compte qu’il ne pouvait plus entendre ni même sentir le vent qui lui apportait tous les messages de son royaume gigantesque. Il ne pouvait plus entendre les messages, prisonniers de son souffle, qui lui apportaient les nouvelles du monde. Alors il comprit son mal. Il comprit que ne sachant plus rien de son royaume il se trouvait seul. Et que sur lui-même, tout roi qu’il était, il ne régnait pas. »
Leur musique est un appel à démontrer la cruauté des hommes, qu’il est indispensable d’atténuer par des cris d’effrois et des besoins rationnels dans un monde imaginaire ou des envie de rêve dans un monde raisonnable.
Laissant partir certains de ses membres sous d’autres cieux comme Thomas Van Cottom leur batteur ou leur scénographe Patric Carpentier, le quintet redevient quatuor. Avec Pierre Jacquemin qui évolue à la contrebasse (instrument devenu prépondérant dans leur harmonie) et Jean-Marc Butty qui a collaboré avec PJ Harvey et qui intègre le groupe courant 2001, Venus retourne en studio et passe une année à composer, à chercher, à produire, pour sortir en février 2003 un disque sous les traits d’une déesse de l’amour. Album plus calme et serein que son devancier, le public des Transmusicales de Rennes se souviendra de ce jour de Décembre 2002 où ces messieurs offrirent leurs compositions en pâture et mirent pour la première fois ces nouvelles chansons en bouche. Dès les flèches lancées dans une nuit étoilée, l’arrivée prochaine d’un album encore plus impressionnant que leur premier opus ne faisait plus aucun doute pour personne présent ce soir là.
Le mot « Vertigone » est un mot inventé, qui n’a pas le sens qu’on veut bien lui donner mais bien celui qu’on crée en écoutant leur musique. Cet album de l’immédiat a été enregistré et arrangé simultanément pour donner une cohérence globale à tous les titres. Dans un travail intuitif et naturel il raconte une grande histoire. Celle d’un groupe exceptionnel. Les chansons sont des interprétations des phantasmes des membres du groupe, qu’ils dévoilent pour échapper au courant mortel qui aurait pu les balayer après « Welcome… ».
Ce n’est pas un hasard si dans la première chanson, on entend chanter « After the storm like we were born again » ou la complainte de perdurer dans les névroses maladives d’un groupe à succès. Toujours schizophrénique, le groupe se balade dignement entre le rock pur et dur et leurs recherches symphoniques qui s’intensifient. C’est le vent qui pousse les pistils de ces fleurs désenchantées sur des terres arides et inexplorées. Le mellotron, les percussions feutrées sont des gouttes de bonheur et donne un son plus calme malgré la certitude de la présence d’un cauchemar continuant à réveiller leurs démons.
Quand on entend « Beautiful Day » sur scène avec une rythmique totalement retravaillée, des guitares sèches et rêches, une contrebasse romantique prenant la partie de faire un set acoustique plutôt que de reproduire l’album dans ses grandes largueurs, on mesure mieux la distance incommensurable de ce groupe avec ses concurrents directs. Cherchant de nouvelles manières d’introduire leur univers à leurs auditeurs, le seul bon moyen « d’entendre jouer » Venus serait, plutôt que d’acheter un de leurs CD, de louer leur prestation et de les faire jouer quand bon vous semble dans votre salon. L’album « Vertigone » ressort actuellement avec un deuxième CD qui est un enregistrement live de leur prestation, ce qui prouvera par A+B que ce qui est déjà excellent en disque en devient incroyable sur scène.
Ils sont contre l’idée d’être des anges. Mais ils aiment voler en toute liberté. Laissons les donc planer là où ils veulent, n’allons pas décrocher la Lune ils sont déjà bien mieux.
Pierre DERENSY. |